Le devenir des cendres 

De 1 % en 1980, le taux de crémation représente aujourd’hui 40 % des funérailles en France’.

Depuis l’ouverture du premier crématorium au Cimetière du Père Lachaise en 1889, leur nombre ne cesse de croître sur le territoire français atteignant en 2022, 210 centres.

Pratique longtemps marginalisée, elle connaît un essor fulgurant depuis ces dernières années pour des raisons tant sociologiques (déplacement de la population, éclatement des familles…), que religieuses (avec la perte de la dimension sacrée du corps) et financières (la crémation étant globalement moins coûteuse que l’inhumation)?.

Cet essor a obligé le législateur à prendre des mesures d’organisation et d’encadrement de la cré-mation, mais également de protection des cendres.

La loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 a ainsi créé un statut juridique des cendres, jusqu’alors traitées comme de simples biens mobiliers indivis’. L’article 16-1-1 du Code civil prévoit ainsi que «Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

La volonté exprimée de la loi est que « quoique devienne le corps après la mort – dépouille en désagrégation ou cendres conservées – de ne jamais l’exposer à un traitement qui ne soit pas respectueux de sa nature humaine. » ».

Ainsi, le juge civil dispose du pouvoir de prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser toutes atteintes portant sur le corps humain ou produits de celui-ci même après la mort (C. civ., art. 16-2). En outre, au même titre que les tombeaux et monuments funéraires, la profanation ou la violation, par quelques moyens que ce soit, d’urnes cinéraires est susceptible de sanctions pénales

(C. pén., art. 225-17).

Cet article est l’occasion d’apporter une vision de la réglementation actuelle sur le devenir des cendres en répondant aux questions les plus couramment posées en la matière.

1- La crémation : un choix qui s’accompagne d’autres choix 

Le principe en droit français reste l’inhumation, la crémation ne pouvant être autorisée par le maire de la commune de décès que sur s’il est justifié qu’elle résulte d’un choix exprimé par le défunt ou la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles (CGCT, art. R. 2213-34).

Si l’inhumation n’emporte pas d’autre choix que celui du lieu de sépulture, nous allons voir que la décision de crémation nécessite, quant à elle, de déterminer, également la destination des cendres parmi celles proposées par la loi.

A. La crémation et la destination des cendres : qui décide ?

  • Le principe : le respect de la volonté du défunt 

La liberté du choix de ses funérailles a été posée par l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887® et permet donc à chacun de décider que son corps soit brûlé ou inhumé. Cette liberté est protégée par le code pénal qui érige en délit le non-respect de la volonté du défunt s’agissant du choix de ses funérailles (ou d’une décision judiciaire) dès lors qu’on en a connaissance (C. Pén., art. 433-21-1).

Cette volonté du défunt doit être recherchée dans tout document, quelle que soit sa nature ou son support : convention d’obsèques, testament, courrier, attestation… Le défunt a la possibilité d’exprimer son choix quant au sort de sa dépouille ou de ses cendres, mais également de désigner la personne qui aura pouvoir d’organiser ses funérailles.

A défaut d’écrit, il est possible de reconstituer ses vœux en les prouvant par tous moyens, par exemple en rapportant ses paroles par témoignages », ou en raison de son comportement comme par l’achat d’une concession dans un cimetière.

Toutefois, les dernières volontés du défunt ne seront pas, toujours, possibles à respecter que ce soit en raison d’une impossibilité juridique (volonté contraire à l’ordre public) ou en raison d’une impossibilité matérielle.

Par exemple, la loi impose de séparer strictement les espaces dédiés à l’inhumation des hommes de celles des animaux, la sépulture dans un cimetière communal n’étant due qu’aux seules personnes (CGCT, art. L. 2223-9 et L. 22223-13). Le maire ne peut donc autoriser l’inhumation auprès de son maître d’un animal ou de ses cendres au sein du cimetière. Toutefois, la jurisprudence a pu, par le passé, accepter de telles inhumations de l’animal de compagnie auprès de son maître » et le nouveau statut juridique de l’animal comme être vivant doué de sensibilité devrait pouvoir peut-être justifier une inflexion de cette interdiction de principe. 

  • À titre supplétif : la recherche de la personne la plus qualifiée 

À défaut de volonté clairement exprimée du défunt quant à ses funérailles, ou de la personne qui en aurait la charge, des conflits peuvent alors surgir entre les proches, que seul le juge est apte à trancher.

La compétence pour trancher un conflit relatif aux obsèques incombe au tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession, qui dispose de 24 heures à compter de la requête pour statuer, l’appel de la décision devant être également fait dans les 24 heures suivantes, sans être tenu de constituer avocat (CPC, art. 1061-1 al. 2).

À défaut de pouvoir établir la volonté du défunt quant à ses obsèques, les tribunaux s’attachent alors à rechercher la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.

Aucune définition légale n’est donnée de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles.

Elle s’entend généralement de toute personne, qui par le lien stable et permanent qui l’unissait au défunt, apparaît ou peut-être présumée la meilleure interprète de ses volontés 3

En jurisprudence, la priorité est quasi systématiquement donnée au conjoint survivant sauf si l’union a été de courte durée ou en cas de mésentente avérée’4. Par extension, la jurisprudence a également pu attribuer cette qualité au concubin, dès lors qu’il justifiait d’une union stable et recueillir ses vœux’5.

durable avec le défunt lui permettant d’être le mieux placé, en raison de leur vie commune, pour

Cependant, il n’existe pas de solution unique et tout dépend en réalité de l’existence de liens affectifs et de proximité avec le défunt, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. 

Enfin, lorsque le défunt n’a laissé ni écrit, ni famille ou que celle-ci est introuvable, la personne publique ou privée qui prend en charge le coût des obsèques, a qualité pour pourvoir aux funé-railles.

À l’issue de chaque crémation, les cendres pulvérisées sont recueillies dans une urne cinéraire munie extérieurement d’une plaque portant l’identité du défunt et le nom du crématorium.

Dans l’attente de la décision relative à la destination des cendres, l’urne est conservée au crématorium ou dans un lieu de culte pendant un délai ne pouvant excéder un an (CGCT, art. L. 2223-18-1). Ce délai a été voulu par la loi afin de permettre à la famille de prendre ses dispositions dans un contexte plus apaisé et serein.

À défaut de décision de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles dans ce délai, les cendres sont alors dispersées dans l’espace aménagé à cet effet dans le cimetière ou site cinéraire de la commune du lieu du décès.

Nous l’avons vu, la loi et la jurisprudence sont attachées au respect de la volonté du défunt quant à ses funérailles mais sous la réserve que cette volonté soit conforme aux modes de sépulture autorisés en France.

B. Quelles sont les différentes destinations possibles des cendres ? 

L’article L. 2223-18-2 du CGCT prévoit limitativement le sort à réserver aux cendres :

« A la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité:

  •   soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’article L. 2223-40 ;
  •   soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’article

L. 2223-40;

– soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques ».

Dès lors que le législateur prend le soin de dresser une liste, celle-ci doit être entendue de manière limitative et exhaustive. Tout autre destination doit donc être prohibée.

Ainsi la loi a mis fin à un certain nombre de pratiques et d’abus concernant le sort des cendres.

Traitées, jusque-là, comme de simples souvenirs de famille permettant leur appropriation privative, les cendres généraient des contentieux familiaux importants. En effet, les cendres étaient analysées par la jurisprudence » comme « une copropriété familiale » et il était de pratique courante qu’elles fassent l’objet d’un partage entre plusieurs membres de la famille suite à leur désaccord. En outre, il n’existait aucune protection des cendres qui, entre les mains d’un ou plusieurs membres de la famille, pouvaient se voir transformer en tableau, en pendentif ou vendues aux enchèresl8 Aujourd’hui, les cendres, comme tout corps humain, sont protégées par le principe de l’indisponibilité et de l’indivisibilité. La loi fixant limitativement les destinations possibles des cendres prises dans leur « totalité », il n’est plus possible aujourd’hui de diviser les cendres même si cette volonté a été exprimée par le défunt.

Cela signifie que les cendres ne peuvent être fractionnées de quelque manière que ce soit. Il n’est pas possible, par exemple, d’en disperser une partie et d’en inhumer une autre ou de disperser les cendres du défunt en plusieurs lieux différents.

En revanche, il ne semble pas y avoir d’obstacle juridique à la réunion des cendres de plusieurs personnes dans une même urne, par exemple deux conjoints qui auraient exprimé le souhait de voir leurs cendres mélangées ». La réunion des cendres nécessite, cependant, que les défunts aient entretenu des liens affectifs profonds et qu’ils en aient exprimé le souhait de leur vivant, ou du moins qu’ils ne s’y soient pas opposés. 

La première destination envisagée par le texte est celle de la conservation des cendres dans une urne que la loi impose de déposer dans un cimetière ou un site cinéraire.

La seule autre destination des cendres envisagée par le texte de l’article est la dispersion des cendres soit dans un espace aménagé du cimetière ou du site cinéraire, soit en pleine nature.

Examinons successivement ces deux destinations mais précisons que si la loi fixe de manière précise celles-ci, il convient de noter qu’il n’existe aucun contrôle réel permettant de s’assurer du respect du texte. En effet, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles peut se voir remettre l’urne à première demande de sa part, et nous le verrons, il n’existe aucune procédure de déclaration ou d’autorisation quant au déplacement de l’urne. À défaut de surveillance quant aux opérations de départ ou d’arrivée de l’urne, rien ne semble donc pouvoir empêcher un projet familial de sépulture qui serait contraire aux prescriptions légales.

  1. La conservation des cendres dans une urne 

L’urne bénéficie de la même protection que les cendres elles-mêmes dès lors qu’elle en est le conte-nant. Elle est donc hors commerce et doit être traitée avec déférence, mais l’urne se distingue, toutefois, de la sépulture ou du cercueil.

Ainsi le fait de transvaser des cendres d’une urne à une autre n’est pas encadré par la réglementation et ne peut donc être qualifié d’exhumation » et nous l’avons vu, une urne pourrait contenir les cendres de plusieurs personnes contrairement aux cercueils.

En outre, l’urne ne présentant aucun risque sanitaire, elle peut être transportée jusqu’à son lieu de sépulture dans n’importe quel véhicule et de n’importe quelle façon. Certains auteurs admettent même un transport par colis postal ce qui nous semble cependant peu compatible avec l’obligation de décence imposée par la loi. Elle n’est soumise à aucune procédure de départ ou d’arrivée, ni aucune obligation de déclaration ou d’autorisation de transport dès lors qu’elle reste sur le territoire français.

Selon l’article L. 2223-18-2, l’urne peut être :

   • inhumée dans une sépulture selon les  mêmes règles que celles applicables aux cercueils : soit qu’ils’agisse d’une caverune (sépulture spécifique aux urnes) soit qu’il s’agisse d’une sépulture classique pouvant accueillir des cercueils;

  • placée dans un colombarium qui est la propriété de la commune : les cases du colombarium, ouvrage public, se voient appliquer la réglementation des concessions, à la différence près que l’obligation d’entretien de l’ouvrage appartient ici exclusivement à la commune et non au concessionnaire ;
  • Scellé sur un monument funéraire existant : opération qui doit être assimilée à une inhumation avec toutes les règles y afférentes malgré l’absence de jurisprudence corroborant la position de l’administration sur ce point.

L’ensemble de ces opérations doit être autorisé par le maire de la commune (CGCT, art. R. 2213-39).

L’urne, une fois vidée des cendres dispersées, devient un contenant neutre et perd toute protection du point de vue du droit funéraire. Elle ne peut d’ailleurs plus être déposée dans un cimetière ou site cinéraire. Elle est traitée comme un bien meuble ordinaire dont le propriétaire, c’est-à-dire la personne qui l’a acquise, peut disposer librement.

A. Peut-on inhumer une urne sur un terrain privé ou la conserver à domicile ?

Nous l’avons vu, le texte de loi prévoit uniquement l’inhumation ou le scellement de l’urne sur un monument à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire : les familles ont donc l’obligation de donner à l’urne une destination publique au sens commun du terme.

• Un des principaux objectifs de la loi était donc de mettre fin à la pratique des dépôts d’urne dans les propriétés privées que ce soit par une conservation à l’intérieur du domicile ou par inhumation dans le jardin, afin d’assurer au mieux la protection des cendres.

Reste que le texte de l’article n’est pas applicable aux situations passées laissant perdurer les dépôts d’urne en propriété privée antérieurs à la loi, puisque ceux-ci étaient alors autorisés notamment lorsqu’ils résultaient de la volonté du défunt.

En outre, l’article R. 2213-32 continue de prévoir le cas de l’inhumation de l’urne dans une propriété particulière. Par suite, l’administration en conclut que les inhumations d’urnes ou de cercueils en propriété privée restent possibles dès lors que les conditions d’une telle inhumation sont remplies. Les deux principales conditions sont que l’inhumation soit faite hors de l’enceinte des villes et à une distance prescrite des habitations (CGCT, art. L. 2223-9).

La délivrance d’une autorisation d’inhumer dans une propriété privée relève de la compétence du préfet du département où se situe la propriété: il s’agit donc d’une inhumation autorisée de manière individuelle (elle ne confere aucun droit automatique d’inhumation aux autres membres de la famille) et post mortem (aucune autorisation du vivant de la personne ne peut donc être délivrée). Il convient de noter que ce type d’autorisation n’est délivrée qu’à titre exceptionnel, soit pour tenir compte de traditions locales (région des Cévennes, Corse) soit que la propriété privée comporte déjà un cimetière familial.

Cette procédure s’applique également aux inhumations dans les cimetières confessionnels privés (notamment protestants et juifs) qui perdurent sur le territoire et qui nécessitent donc une autorisation préfectorale®

• Les sépultures en terrain privé sont d’après la jurisprudence perpétuelles, inaliénables et incessibles 2.

Dès lors, l’aliénation du terrain supportant la sépulture ne concerne pas celle-ci qui en est exclue, puisque hors commerce et échappant ainsi aux règles du droit de propriété.

Cela engendre la création automatique d’une servitude perpétuelle à l’endroit de la sépulture afin de garantir la liberté des ayants-droits ou proches du défunt de venir s’y recueillir. Ainsi, la famille des personnes inhumées dans le cimetière privé bénéficie d’une servitude de passage perpétuelle même si le titre de propriété afférent au terrain n’a rien prévu. De même, les membres de la famille pourraient, semble-t-il, solliciter une autorisation auprès du préfet à l’effet d’être inhumé dans le cimetière familial sans que le propriétaire du terrain ne puisse s’y opposer.

Précisons que le propriétaire du terrain commettrait un délit d’atteinte au respect dû aux morts

(C. pén. art. 225-17) s’il venait à déplacer la sépulture ou y porter atteinte de quelque manière que ce soit.

B. Peut-on déplacer ou retirer une urne à sa guise ?

L’article R. 2223-23-3 du CGCT33 prévoit que le déplacement d’une urne relevant d’une concession d’un site cinéraire doit faire l’objet d’une autorisation par le maire et est régi par les règles relatives à l’exhumation (CGCT, art. R. 2213-40 et ss)34. Dans les sites cinéraires ne faisant pas l’objet de concessions, le dépôt et le retrait d’une urne d’un emplacement sont simplement subordonnés à une déclaration préalable auprès du maire de la commune d’implantation du site cinéraire.

L’obligation de respecter la procédure de l’exhumation reflète la volonté du législateur de protéger les cendres du défunt au même titre que sa dépouille mortelle inhumée.

De la même manière, on estime que le retrait d’une urne située sur une propriété privée ne peut s’effectuer que dans le cadre d’une procédure d’exhumation. Dans la mesure où le législateur a souhaité doter les cendres issues de la crémation d’un statut analogue à celui des corps placés dans un cercueil, les dispositions de l’article R. 2213-40 relatives à l’exhumation, qui s’appliquent pour l’exhumation d’un corps dans une propriété particulière, s’appliquent également pour le retrait de l’urne dans une telle propriété. Cette procédure semble donc devoir être respectée dès lors que l’urne quitte une propriété privée, que l’urne y ait été inhumée ou simplement conservée au domicile, comme notamment en cas de déménagement de la famille.

L’article R. 2213-39-1 du CGCT impose, lorsqu’il est mis fin à l’inhumation d’une urne dans une propriété particulière, que son nouveau sort soit impérativement régi par les destinations visées à l’article L. 2223-18-2 dudit code, en sorte qu’elle ne pourra donc plus être conservée en propriété privée.

Par principe, une sépulture a vocation à abriter définitivement le corps ou les cendres de la per-sonne. L’exhumation est donc strictement encadrée par la loi et les tribunaux sont extrêmement vigilants à ce qu’il ne soit pas contrevenu au principe de l’immutabilité de la sépulture « sans une nécessité absolue, le respect de la paix des morts ne devant pas être troublé par les divisions des vivants ».

Une demande d’exhumation ne peut être présentée que par « les plus proches parents du défunt », quel que soit le titulaire de la concession concernée par l’exhumation. Cette demande est faite auprès du maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation, lequel est seul compétent pour en délivrer l’autorisation (CGCT, art. R. 2213-40).

Aucune définition légale n’est donnée des « plus proches parents du défunt »  nécessitant de s’en référer à la jurisprudence qui a établi, sous réserve de chaque cas d’espèce et notamment des liens affectifs, la hiérarchie suivante» : le conjoint survivant auquel par extension est assimilé le concubin avec lequel le défunt avait une union stable et paisible les enfants du défunt, ses parents.

À défaut de conflit et après vérification de la qualité du demandeur en tant que plus proche parent du défunt, le maire ne peut refuser de délivrer une autorisation d’exhumation. Seul un motif d’ordre public pourrait s’opposer à cette demande. En revanche, en cas de doute sur la qualité du demandeur ou de conflit familial relatifà l’opportunité de l’exhumation du corps, le maire doit surseoir à statuer et s’en remettre au juge sous peine d’engager la responsabilité de la communesl

Or, nous l’avons dit, le juge refuse généralement d’autoriser l’exhumation qui ne peut avoir lieu qu’à titre exceptionnel : il ne l’autorise que s’il est démontré que la volonté exprimée ou présumée du défunt n’a pas été respectée, ou que la sépulture actuelle n’avait qu’un caractère provisoire. À côté de la conservation en urne, l’autre destination possible des cendres est leur dispersion.

3. La dispersion des cendres

« Il faut se rappeler que disperser des cendres ne signifie pas constituer une sépulture. C’est même l’inverse (…). Celui qui demande la dispersion de ses cendres ne veut pas de sépulture et devient SDF pour l’éternité ».

A. Peut-on disperser les cendres du défunt n’importe où ?

Selon l’article L. 2223-18-2 du CGCT, les cendres peuvent être dispersées :

• Soit « dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’article L.2223-40 »44.

La dispersion des cendres peut tout d’abord avoir lieu dans ce qu’il était communément appelé « un jardin du souvenir » géré par la commune. Notons que l’expression a disparu des textes législatifs afin de permettre aux communes de décider librement de l’équipement mis en place au sein du cimetière: mer de galets, puits de dispersion…

La mairie détermine, également, librement les modalités d’identification des défunts soit au travers d’un livre du souvenir, l’apposition d’une plaque portant le nom, dates de naissance et décès sur un ouvrage dédiée, sur une borne informatique…

La dispersion des cendres dans un cimetière ou site cinéraire est soumise à autorisation préalable du maire de la commune en vertu de l’article R. 2213-39 du CGCT qui détermine au sein du règlement du cimetière les règles à respecter pour toute dispersion de cendres (jours et horaires, présence d’un agent ou non…).

• Soit « en pleine nature sauf sur les voies publiques »

La dispersion des cendres en pleine nature peut être effectuée directement par les membres de la famille sans qu’il ne soit besoin de l’intervention d’un opérateur funéraire.

Il n’existe aucune définition légale de la « pleine nature », en sorte que la circulaire du 14 décembre 2009*s la soumet à l’appréciation souveraine des juges du fond tout en préconisant de se référer à la notion d’« espace naturel non aménagé ».

La circulaire exclut donc la possibilité d’une dispersion dans un jardin privé, la notion de propriété privée semblant peu compatible avec la dispersion en pleine nature. Cependant, elle prévoit une exception, si la dispersion est envisagée dans de grandes étendues qui sont accessibles au public (champ, forêt privée, prairie, vignes…) et sous réserve de l’accord préalable du propriétaire et de l’exploitant du terrain46

De même, les cendres ne peuvent être dispersées dans un espace aménagé excluant les parcs ou jardins publics mais également, selon le texte, les voies publiques. Là encore la notion de voies publiques reste floue. Du point de vue de la circulation routière, les voies publiques sont entendues comme « l’ensemble des réseaux de communication ouverts à la circulation générale ». Les voies publiques pourraient donc être définies comme « les dépendances domaniales affectées à l’utilisation collective que ce soient les axes routiers et les voies fluviales navigables »*. Mais ne pourrait-on pas l’étendre à des voies de circulation piétonnières ou cyclistes ou à des voies de circulation privées ?

La jurisprudence devra le préciser.

La loi permet donc la dispersion dans des milieux et lieux extrêmement variés dès lors qu’elle a lieu en pleine nature. Sont donc possibles :

  • la dispersion dans les cours d’eau et rivières sauvages ;
  • la dispersion aérienne dès lors qu’elle a lieu en surplomb d’espaces naturels dépourvus de voies publiques, l’altitude à laquelle est réalisée la dispersion étant libre ;
  • la dispersion en mer est également possible dès lors qu’elle est effectuée à plus de 300 mètres des côtes et ne contrevient ni à la réglementation maritime ni aux règles édictées dans les zones de police communales**. Notons qu’est assimilée à la dispersion des cendres en mer, l’immersion en mer d’une urne biodégradable qui, elle, devra être réalisée à plus de 3 milles marins des côtes (6 km) ou le dépôt de l’urne dans une cavité ou grotte sous-marine devant être à plus de 15 mètres de profondeur ;
  • la dispersion spatiale: si la loi française interdit la mise en orbite spatiale des cendres du défunt, une entreprise avait obtenu les autorisations pour procéder à une dispersion via un ballon gonflé à l’hélium qui une fois arrivé à une altitude de 30 kilomètres au-dessus du sol s’autodétruisait laissant les cendres, préalablement placées dans une capsule, se disperser et rejoindre l’atmosphère sous forme de pluie ou de neiges.

La personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles doit déclarer la dispersion auprès de la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt avec la précision de son identité, la date et le lieu exact de dispersion des cendres, le tout étant consigné dans un registre tenu à cet effet (CGCT art. L. 2223-18-3). Aucun délai n’est exigé pour ce faire, mais il est évidement conseillé d’y procéder immédiatement après les opérations de dispersion. La déclaration auprès du maire de la commune du lieu de dispersion a, en revanche, été supprimée par le décret du 28 janvier 2011 sauf pour les dispersion en mer qui doivent toujours être déclarées auprès de la mairie du port d’attache du bateau ayant transporté les cendres.

Toutefois, une troisième voie pourrait voir le jour à mi-chemin entre la dispersion dans un espace aménagé et la dispersion en pleine nature : les forêts cinéraires.

B. Forêts cinéraires: quel avenir ?

Les préoccupations écologiques actuelles poussent à envisager de nouveaux modes de traitements funéraires ou de nouvelles destinations aux restes humains. Certains, tels l’humusation » ou la résomation, nécessiteraient une adaptation voire un bouleversement de notre droit funéraire qui, à l’heure actuelle, prohibe tout autre traitement que l’inhumation ou la crémation. D’autres, au contraire, semblent à portée de mains.

C’est le cas de la forêt cinéraire qui consiste en une forêt spécialement destinée à l’accueil des cendres des personnes dont le corps a donné lieu à crémation. Mode alternatif de destination des cendres, ces cimetières naturels sont en plein essor chez nos voisins allemands3

La forêt cinéraire, outre un intérêt écologique évident, permettrait de concilier le souhait de dispersion de ses cendres en un milieu naturel (souvent inconciliable avec les sites cinéraires ou cimetières existants) tout en offrant un lieu mémoriel de recueillement (ce que ne permet pas la dispersion en pleine nature).

Alors que, sur le papier, la législation semble permettre aux communes de créer de tels lieux, aucune collectivité n’a pour l’instant pris l’initiative d’un tel aménagement à l’exception de la commune d’Arbas (Haute-Garonne), dont le projet a été toutefois stoppé par le représentant de l’État en raison du caractère illégal de sa mise en œuvre.

En effet, le projet tel qu’établi par la commune enfreignait de nombreuses règles de la législation funéraire dont la principale était que la gestion en était confiée à un opérateur privé qui proposait des concessions d’urnes biodégradables moyennant finance.

De nombreuses réponses ministérielles ont été rendues sur le sujet rappelants:

  • qu’un site cinéraire même isolé du cimetière ou crématorium doit obligatoirement être géré par la commune et être soumis à la même réglementation que les cimetières;
  • que l’enfouissement d’une urne biodégradable s’apparente à une dispersion de cendres», puisque ne permettant pas une exhumation, laquelle est incompatible avec le principe d’une sépulture et donc d’une concession payante.

Pour certains commentateurs, la forêt cinéraire ne constitue aucunement une dispersion en pleine nature mais peut être assimilée soit à l’équivalent d’un jardin du souvenir sans possibilité d’y inhumer des urnes, soit à un site cinéraire isolé dans lequel il serait possible d’y prévoir des inhumations d’urnes même biodégradables.

Pour eux, les communes seraient donc libres de créer de tels sites en utilisant et respectant la réglementation actuelle puisque l’article L. 2223-2 alinéa 2 du CGCT prévoit, sans plus de précisions que le site cinéraire comprend un espace aménagé pour la dispersion des cendres ainsi qu’un columbarium ou des espaces concédés pour l’inhumation des urnes.

Les communes auraient donc la possibilité d’invoquer la grande marge de manœuvre dont elles disposent quant aux type d’équipements choisis pour l’accueil des cendres pour aménager une partie de leur territoire en forêts cinéraire. Elles disposent également via le règlement du site cinéraire de la possibilité de fixer les modalités d’inhumation ou dispersion au sein du site et le prix de l’utilisation de ce dispositif par les familles. 

Malheureusement, les pouvoirs publics et collectivités territoriales ne semblent pas prêts à se saisir du sujet préfèrent s’en tenir aux modes traditionnels de destination des cendres, lors même que les administrés appellent de leurs vœux la mise en place de tels sites. 

Au delà des nouvelles aspirations sociétales et environnementales, les forêts cinéraires répondraient, pourtant, au souhait séculaire des hommes de reposer au plus près de la nature, tel que l’exprimait déjà Victor Hugo dans ses « Contemplations » : 

« Forêt ! C’est dans votre ombre et dans votre mystère,

C’est sous votre branchage auguste et solitaire,

Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,

Et que je veux dormir quand je m’endormirai. »