Assurance-vie et époux mariés, les précautions 

Produit d’épargne préféré des Français, l’assurance-vie présente de nombreux avantages. Mais aussi quelques risques assez méconnus pour les souscripteurs unis sans contrat de mariage.

L’assurance vie est un produit d’épargne dont l’objectif principal est de préparer sa retraite ou sa succession. En cas de transmission du patrimoine, ses avantages fiscaux sont sans commune mesure avec ceux des outils classiques. Pas étonnant qu’il s’agisse du produit d’épargne préféré des Français, devant les livrets réglementés. Car, si le livret A est le plus détenu, ses encours sont loin derrière ceux de l’assurance-vie qui repré sentaient un total de 1165 milliards d’euros en 2022 (contre 375 milliards d’euros pour le livret A).

Vous ne le savez peut-être pas, mais même si vous avez ouvert votre contrat d’assurance-vie à votre seul nom, l’épargne que vous y avez placée est peut-être de l’argent commun avec votre conjoint. C’est en effet le cas si vous êtes marié, comme la très grande majorité des couples, sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, c’est-à-dire le régime matrimonial qui s’applique automatiquement à votre mariage si vous n’avez pas signé de contrat de mariage.

Pas tout à fait hors succession

Il est fréquent de lire que l’assurance-vie est « hors succession ». C’est vrai au moment où le contrat est dénoué, c’est-à-dire lors du décès de l’époux souscripteur: le montant du capital n’est pas comptabilisé dans l’actif successoral du défunt ni partagé entre ses héritiers. L’argent placé revient au (x) bénéficiaire(s) désigné(s), qui peuvent faire partie des héritiers ou pas, dans des conditions fiscales intéressantes.

Mais il faut nuancer cette règle si le défunt souscripteur était marié sous un régime de communauté. La situation ne pose pas de difficulté dans l’hypothèse où le bénéficiaire du contrat est uniquement le conjoint: l’argent lui revient, point. C’est plus compliqué si le défunt avait désigné d’autres personnes, notamment ses enfants, dans la clause bénéficiaire.

La communauté doit être indemnisée pour l’argent commun placé sur le contrat. En d’autres termes, la succession du défunt doit une récompense à la communauté, et par extension au conjoint survivant. Imaginons André, marié sous le régime de la communauté avec Léa. Il possède à  son décès une assurance-vie avec un capital de 200000 €. Étant donné que ce contrat a été alimenté avec des fonds communs, la succession d’André doit une récompense à la communauté égale aux sommes versées. C’est en quelque sorte les héritiers qui en sont redevables. Cela pose peu de difficultés si ce sont eux les bénéficiaires de l’assurance-vie.

En revanche, c’est plus délicat si c’est un tiers: à la fois l’assurance-vie leur échappe et en plus, leur part d’héritage est diminuée du montant de l’indemnité due à la communauté.

Le sort de l’assurance-vie du survivant

À l’inverse, la part d’héritage des enfants est susceptible de s’accroître du fait des sommes que le veuf ou la veuve détient sur son propre contrat d’assurance-vie. En effet, si l’époux ou l’épouse survivant détient un contrat d’assurance-vie, il a donc été alimenté par de l’épargne commune

puisque les époux sont mariés sous le régime de la communauté. Ainsi, la valeur de ce contrat (non dénoué) au jour du décès est fictivement intégrée dans l’actif commun. Après la dissolution de la communauté, la moitié de la valeur de ce contrat d’assurance-vie revient au survivant et l’autre s’ajoute à la succession du défunt, ce qui vient augmenter la part des héritiers. Cependant, le contrat reste bel et bien la propriété de l’époux souscripteur.

La clause de remploi

Pour échapper à ces inconvénients, il est recommandé aux époux mariés, sans contrat de mariage, d’utiliser des fonds propres pour alimenter leur assurance-vie. Encore faut-il avoir de l’argent personnel, ce qui n’a rien d’évident dans un régime de communauté où l’essentiel des revenus est commun: les salaires, l’épargne salariale, les pensions de retraite… et même les loyers d’un appartement que l’on possédait avant le mariage (le bien restant quant à lui propre).

En revanche, l’argent issu d’une donation ou d’un héritage constitue un fonds propre, tout comme les indemnités réparant un préjudice (mais pas l’indemnité légale de licenciement). Aussi, si vous souhaitez placer les sommes reçues sur votre contrat d’assurance-vie, l’argent restera propre mais il faut impérativement insérer une clause de remploi au moment du versement, ce qui assure la traçabilité des fonds. À défaut, l’argent reçu tombera dans la communauté 

La clause de préciput, une solution Les époux peuvent aussi, à tout moment, adapter leur régime matrimonial en insérant dans leur convention une « clause de préciput » visant leurs contrats d’assurance-vie non dénoués. Ainsi l’épargne restera en dehors de la succession. Cette clause permet au survivant de recueillir les biens communs du couple que la clause vise comme s’il en avait été toujours l’unique propriétaire. Ce transfert de propriété est un avantage matrimonial, ainsi il échappe aux droits de donation et de succession.

En revanche, un débat est en cours concernant le droit de partage (voir encadré ).

Le quasi-usufruit

Enfin, si l’époux survivant est bénéficiaire de l’usufruit et les enfants de la nue-propriété, ils peuvent conclure une convention de quasi-usufruit.

Concrètement, tant que le second conjoint est vivant, tout se passe sans difficulté: il peut utiliser intégralement les fonds de son assurance-vie, il n’a pas à dédommager les autres héritiers même si son contrat a été alimenté avec de l’argent commun.

En revanche, à son décès, il en sera tenu compte via une créance « dite de restitution » qui sera déduite de sa succession. Ainsi, les droits de succession à payer par les enfants sont réduits sans que leurs droits soient diminués, tout en permettant au conjoint survivant de profiter d’une autonomie financière.

ROSINE MAIOLO

Clause de préciput et droit de partage

Attention, récemment, l’administration fiscale a réclamé, à plusieurs reprises, un droit de partage de 2,5 % sur la valeur des biens revenant au conjoint du fait de la clause de préciput. Certains veufs et veuves ont contesté en justice ce redressement fiscal et ont parfois obtenu gain de cause. Le sujet fait toujours débat même si les juges sont plutôt favorables aux époux.

Les notaires militent pour une modification de la loi afin que le Code général des impôts indique explicitement que la clause de préciput ne soit soumise à aucune taxation. Pour l’heure, il n’est pas permis de le dire aussi clairement, il est donc conseillé aux personnes concernées de contester les redressements.